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Se nourrir du travail des autres… Rassurez-vous, Alzheimer n’est pas entrain de transformer en squatte mon lobe temporale interne, je sais que j’avais déjà évoqué ce sujet par le passé. Que voulez-vous ? Est-ce mon côté parasite qui anime cette volonté d’aller me servir copieusement dans l’assiette de certains collègues? Je sais, la gourmandise est vilain défaut, mais quand le chef-coq n’est autre que Frank Pé, et qu’il nous sert de la grande gastronomie presque à l’œil, je serais idiot de ne pas allez me servir à la louche.
Et comme le titre de ce billet l’indique, c’est une fameuse gifle qui est entrée en collision avec mon cortex visuel, pour retrouver presque en feu ma cornée. C’est d’ailleurs assez excitant : Est-ce que nous, visiteurs de l’exposition qui se tenait au Rouge-Cloître, n’avons pas assistés à la renaissance d’un auteur rare, qui de prime à bord n’avais plus rien à prouver ? Dans ce post, je ne cherche pas à en faire des tonnes par l’apologie du cirage de pompes, mais en me rendant à l’exposition de Frank, j’étais loin de me douter à quelle sauce le spectateur allait être mangé. Car ici, il s’agit bien d’une production spectaculaire. Et dieu sait, combien d’expos j’ai été visiter.
C’est d’ailleurs motivant pour nous, jeunes auteurs, de voir une telle évolution dans l’œuvre d’un artiste qui recense 35 ans de métier à ses crayons. Une évolution tant sur le plan scénographique qui reconsidère le dessin original comme objet dans l’espace d’exposition. La plupart des dessins ne sont même pas sous-verre, mais dans un cadre de bois soigné selon le sujet de composition. Il y a des pars-à-vents, des sculptures, et ces fameux dessins monumentaux de plusieurs mètres fait en « live »devant un public. Mariés à des bas-reliefs, on peut aussi apprécier des dessins originaux très léchés qui créent un parallèle avec le peintre tchèque Alphonse Mucha.
Par ces clichés vous aurez compris que je suis revenu vivant de ce safari pictural et sculptural, certes, mais pas indemne. Pour les amateurs qui auraient souhaités venir observer cette faune de papier, rassurez-vous, un livre devrait voir le jour fin 2011. Je l’espère en tous cas.
Un invité particulier a eu la gentillesse de nous faire partager quelques souvenirs sur les premiers pas de Frank dans la Bande dessinée. Il nous dresse également un regard sur l’auteur qu’il est devenu aujourd’hui. Alain de kuyssche a en effet été l’un des acteurs de premier plan concernant l’auteur de Broussaille et de Zoo à ses débuts.
Il fût le rédacteur en chef du magazine Spirou de 1978 à 1982 :
« J’ai fait la connaissance de Frank Pé dans une armoire. Celle de la rédaction du journal Spirou. A peine nommé rédacteur en chef, je découvrais les planches d’une histoire particulièrement musclée et violente. Qui ne me plaisait pas du tout – et qui ne plaisait pas à Charles Dupuis, nostalgique d’un Spirou plus sage. Il me chargea donc d’annoncer à ce jeune dessinateur qu’il avait intérêt à aller exercer ses talents ailleurs.
Dès la première rencontre avec Frank, le courant est passé. En cette fin des années 1970, on commençait à peine à découvrir l’écologie, la vie verte. Et on redécouvrait la nature. Ce fut le déclic d’une réflexion qui amena à la création des Carnets de Broussaille. En gros, l’idée consistait à se placer dans la continuité des chroniques, qui avaient fait les beaux jours du journal Spirou dans sa phase ascendante des années 50. A cette époque décidément très lointaine, les dessinateurs étaient mis à contribution pour illustrer des textes consacrés aux loisirs, à l’automobile et autres sujets dans l’air du temps. Les Carnets de Broussaille voulaient renouer avec cette tradition.
Frank y faisait passer ses préoccupations environnementales ; c’est lui qui inventa le personnage de Broussaille, son nom et son look. On voyait débarquer à la rédaction des planches superbes… qui, en 30 ans, n’ont pas vieilli d’un poil. Cela vaudrait bien la peine de les réunir en portfolio.
Par la suite, Frank a voulu faire évoluer Broussaille vers la bande dessinée. Il y travailla avec Bom. Ce fut une belle aventure, distillée dans des albums peu nombreux. On aurait aimé en voir plus, mais sans doute fallait-il ne pas brusquer l’épanouissement d’un talent déjà bien ancré, mais soumis à des exigences esthétiques très éloignées de la précipitation des imprimeries et du marketing.
Fondamentalement, la démarche de Frank n’a guère évolué. Dès ses débuts, il s’est révélé un humaniste de haut vol. Ce n’est pas seulement un « ami de la nature », un « protecteur des bêtes », un « ami du genre humain ». A mes yeux, il a toujours conçu le monde comme une globalité, reposant sur un équilibre fragile, précaire et, peut-être, fugace. Son actuel cadre de vie répond parfaitement à ce qui furent les préoccupations de sa vie, dès l’adolescence.
En revanche, au plan graphique, l’évolution est impressionnante. La maîtrise de l’image, du trait à la couleur, du dessin à la mise au net, de la case à l’entièreté de la planche – tout cela relève du grand art. Si un artiste parvient à réconcilier peinture et BD, Frank est celui-là.
Avec lui, le 9ème Art devient la somme des huit précédents. Le scénario joint la poésie à l’art dramatique et à l’architecture. La couleur doit beaucoup à Gauguin, mais aussi aux expressionnistes tels que Permeke. La mise en scène, les plans, le découpage, la mise en séquences réussissent à se faire cinématographique. Et l’atmosphère, les regards, les non-dits évoquent la musique de Debussy, celui des Jardins sous la pluie, du ‘Children’s Corner’ et de l’’Isle joyeuse’, mais aussi le Paul Dukas de l’Apprenti Sorcier et le Stravinski du Sacre du Printemps et de l’Histoire du Soldat.
Que dire de plus, sinon qu’il est des êtres véritablement humains dont on est heureux d’avoir croisé le chemin. »
Alain De Kuyssche
Les personnages de Zoo restent la propriété de Frank Pé, Philippe Bonifay et des éditions DUPUIS
je vous reconduits vers une très intéressante interview en deux partie, que consacre l’auteur à propos de cette expo.
Interview partie 1
Interview partie 2
Bravo. Quel talent !
Bravo ce blog est vraiment intéressant, j’aime le mélange de cette bizzereté et cette intelligence!